Dans de nombreux pays et de nombreuses traditions, l’alcool tient une place d’honneur. Le Japon et les Japonais ne font pas exception à la règle. Il y a de nombreux siècles, les Japonais commencèrent à mélanger leur aliment de base, le riz, avec de l’eau pure et des micro-organismes, appelés koji, pour fabriquer le Nihon-shu, autrement dit le saké japonais.
Tirant avantage des conditions naturelles de leur pays et de leur environnement, une mer séparant le Japon du reste de l’Asie, les Japonais firent fortune du brassage de saké, car ils purent développer une boisson bien à eux.
A la séparation géographique vinrent s’ajouter plusieurs siècles d’isolement politique, économique et culturel. A l’origine, le saké est un alcool conçu pour des palais japonais, par des maîtres brasseurs coupés de l’influence des autres cultures. Le saké fut donc créé par les ancêtres des japonais actuels, il a fait partie de la vie de chaque habitant durant des siècles, jouant son rôle dans les rituels nippons, de la naissance à la mort.
Le saké japonais est bien plus qu’une simple boisson alcoolisée, il a eut une réelle influence sur la culture culinaire japonaise, il a aussi inspiré des modes de pensée qui font aujourd’hui partie de l’héritage culturel des japonais. Cet héritage s’exporte même en Occident : de grands chefs intègrent le saké dans la composition de leur plat ou la réalisation d’une sauce. Des contenants spécifiques ont été créés pour le servir et pour le boire, petites coupes sakazuki, carafons tokkuri, sans parler du fait que le saké est très souvent servi chaud. Véritable institution nationale, la consommation du saké nécessite l’utilisation d’un service à saké dans la pure tradition japonaise tout en suivant un cérémonial strict. Tout cela nous fait mieux comprendre pourquoi les Japonais nourrissent une grande fierté et un amour sincère pour le saké, l’alcool symbole du Japon.
Un mode de brassage du saké unique
Les techniques de brassage du saké sont uniques dans le monde. Le riz est poli jusqu’à obtenir un grain fin et immaculé, puis il est cuit à la vapeur avant de subir deux processus simultanés : l’amidon du riz est changé en sucre sous l’action des micro-organismes koji, et ce sucre fermente pour se changer en alcool sous l’action d’une levure naturelle.
Le saké est la boisson alcoolisée traditionnelle dans tout le Japon, une boisson si traditionnelle que justement, en japonais, le mot “alcool” se dit tout simplement “saké”. Les premières traces écrites de brassage du saké remontent au début du VIII ème siècle; deux siècles plus tard, le recueil Engi Shiki décrit très précisément comment l’on fabriquait le saké à la Cour Impériale. La technique de brassage connue de nos jours était déjà en place à l’époque.
L’introduction de techniques scientifiques au Japon, à la fin du XIX ème siècle, transforma quelque peu les méthodes de brassage du saké. Jusque là, les brasseurs agissaient de manière empirique, utilisant leur expérience et leur intuition. Dès lors ils purent appliquer des méthodes scientifiques, en utilisant les connaissances sur la microbiologie.
Les scientifiques étrangers de l’époque furent étonnés par les techniques japonaises traditionnelles de brassage du saké, en effet, les brasseurs japonais employaient la pasteurisation à froid pour éliminer les bactéries dangereuses, une technique semblable à celle développée par Louis Pasteur, révélant que cette méthode était déjà employée au Japon depuis plus de 300 ans.
Le saké japonais se différencie véritablement des nombreuses autres boissons alcoolisées du monde. Tout d’abord, le saké a la plus forte teneur en alcool naturel. Bien sûr le degré d’alcool affiché est plus élevé dans des boissons comme le whisky, mais cette concentration a été obtenue artificiellement par distillation. Au départ, le moût de whisky ne contient que 6% d’alcool, tandis que le moût de saké contient jusqu’à 20 % d’alcool, ce qui est de loin le record de toutes les boissons à fermentation naturelle.
Cette concentration d’alcool provient de l’utilisation des spores koji-kin, car au contact du riz cuit à la vapeur, ces spores se multiplient en provoquant une réaction avec celui-ci, le transformant en moisissure de riz kome-koji; d’autre part, les spores produisent une protéine qui permet la prolongation de la fermentation sur une durée plus longue.
L’autre élément important est la fermentation multiple parallèle, qui se compose de deux processus, la saccharification (la décomposition de l’amidon de riz en glucose par les bactéries), et la fermentation alcoolisée, au moyen de la levure. Grâce à ce processus parallèle, la teneur en alcool du moût de saké augmente régulièrement, jusqu’à avoisiner les 20 %.
Ensuite, le saké japonais, c’est l’utilisation de trois micro-organismes que l’on trouve dans la nature : les champignons, les bactéries et les levures. Les autres alcools, que ce soit bière, whisky, vodka, tequila ou rhum, n’emploient qu’un seul type de micro-organisme, la levure, au cours de leur processus d’alcoolisation. Les brasseurs japonais de saké en utilisent trois : les spores de koji pour fabriquer la moisissure koji, les bactéries issues de l’acide lactique pour stabiliser le moût, et la levure pour fermenter le moût et en faire de l’alcool.
Pour finir, le saké japonais se différencie par le grand nombre d’ingrédients utilisés. En effet, en comptant tous les éléments responsables de la saveur du saké, on arrive à plus de 600 ingrédients dans sa composition, ce qui est supérieur aux autres alcools connus.
Le saké : l’alcool des Dieux
Au japon, vous trouverez dans les magasins japonais de vins et spiritueux les alcools du monde entier, mais pour une grande occasion, c’est forcement le saké qui sera sélectionné et acheté. Car au Japon, le saké c’est sacré, même de nos jours. Issu du riz, l’aliment quotidien du Japonais, le saké fait partie du patrimoine, car lorsque les ancêtres des Japonais priaient pour une bonne récolte, ils envoyaient en même temps leurs prières au dieu du saké. Ce kami, une déité du shinto, est vénéré dans les sanctuaires shinto à travers tout le Japon.
A l’occasion des cérémonies religieuses, le saké est non seulement bu, mais il est aussi utilisé comme offrande. Lors du Nouvel an, de la Fête des Poupées et pour toutes les fêtes sekku qui rythment l’année, le saké est offert pour accueillir les dieux, avant d’être bu en accompagnement du repas. Pour signer un contrat important, on boit le saké dans des coupes spéciales. Pour les Japonais, le saké est bien plus qu’un alcool, c’est un élément primordial de leur culture et de leurs traditions.